Florence Schelling

Florence Schelling, une femme à la tête d’un bastion masculin

Le Club des Patineurs de Berne (CP Berne), le plus grand club de Suisse, (60 millions de budget, 17’000 spectateurs en moyenne, 16 fois champion de Suisse) a choisi une femme comme nouveau directeur sportif, une première dans l’histoire du hockey. Brillante, sûre d’elle, la jeune Zurichoise de 31 ans, ancienne gardienne de l’équipe nationale féminine, est prête à relever le défi. Sa nomination surprise a fait le tour du monde.

Club le plus titré du hockey suisse, suivi en temps normal par 17’000 fidèles, un record en Europe, le CP Berne avait totalement raté sa dernière saison, en ne se qualifiant pas pour les play-offs, avant que le championnat ne soit interrompu par le coronavirus. En ce mois d’octobre, alors que la nouvelle saison démarre, le club bernois espère retrouver les sommets qu’il n’aurait jamais voulu quitter. Sa nouvelle vedette, l’attraction numéro un, ne sera pourtant pas comme d’habitude un joueur étranger, mais bien son nouveau directeur sportif, ou plutôt sa nouvelle directrice sportive, à savoir la Zurichoise Florence Schelling (31 ans), ancienne gardienne emblématique de l’équipe nationale féminine. Car, grande première dans l’histoire du hockey international, c’est une femme qui désormais, à Berne, occupe ce poste clé, choisit les nouvelles recrues, négocie les contrats, met en pratique la politique du club.

Florence Schelling et Gil Montandon

Sa nomination surprise, en avril dernier, a fait le tour du monde, de la Scandinavie à l’Amérique du Nord, ces grandes régions de hockey. Florence Schelling en sourit, mais assume. «Je peux comprendre les réactions mais, à mes yeux, il n’est pas extraordinaire d’occuper un tel poste en tant que femme. Je vois simplement cela comme un travail pour lequel je vais donner le meilleur de moi-même. Je suis une personne ambitieuse.» 


La jeune femme est consciente de l’ampleur du défi qui l’attend. «L’objectif est de ramener Berne en haut du classement. Je vais avoir beaucoup de pression, mais je vais tout faire pour réussir. Si je fais du bon travail, les résultats suivront. Et je sais que le respect et la reconnaissance sont directement liés aux résultats.»

Florence SchellingAux yeux de certains, sa nomination s’apparente surtout à un coup marketing destiné à redorer l’image du club. Ce que Marc Lüthi, le tout puissant CEO du CP Berne, dément avec force. «Nous ne cherchions pas un homme ou une femme, nous cherchions des compétences. C’était le bon moment pour tenter quelque chose de nouveau, j’avais besoin de quelqu’un de frais qui nous apporte un autre point de vue et qui a le culot de dire ce qui ne fonctionne pas. Nous sommes convaincus des qualités de Florence, nous croyons en elle.» Pour la Zurichoise, la décision d’accepter un tel challenge n’a pas fait un pli. «J’ai été surprise, mais je n’ai pas hésité une seconde. J’ai ressenti dans les discussions un soutien et une confiance extrêmes.»


Une femme promue à un tel poste, c’est comme une fissure, un tournant peut-être, dans un monde jusque-là quasi entièrement masculin. Grand spécialiste du hockey, auteur de plusieurs livres, Klaus Zaugg s’en félicite. «Il n’y pas de sport où la culture macho est aussi extrême que dans le hockey, même pas le foot. Or, Florence Schelling est aujourd’hui la cheffe des hommes, qui négocie avec les agents, les joueurs. Et puis, à mes yeux, après la saison ratée de Berne, elle a tout à gagner.» 

 Ex-attaquant vedette du CP Berne, trois fois titré champion suisse, le Fribourgeois Gil Montandon partage cet enthousiasme. 

Il y a forcément un côté marketing dans sa nomination, mais je pense que Florence va élever le niveau, inspirer le respect dans un monde où les mecs ont trop tendance à se regarder le nombril.

Les femmes représentent aujourd’hui 10% des licenciés dans le hockey suisse, un record, et de plus en plus de petites filles choisissent ce sport. La Jurassienne Sarah Forster, l’une des quatre Suissesses évoluant à l’étranger, en Suède, voit dans la nomination de son ex-coéquipière en équipe nationale, un signe encourageant, illustrant un changement de mentalités. «Cela prouve qu’une femme a aussi sa place dans un monde d’hommes, que ça bouge, que ça va dans le bon sens. Surtout que Florence n’a pas été choisie par le petit club du coin, mais par le CP Berne, et ce n’est pas rien.»


Florence Schelling est consciente du rôle d’ambassadrice qu’elle va endosser. «Le hockey féminin se développe dans différentes régions du monde, aux États-Unis, au Canada, en Russie, en Suède, chez nous aussi. Si je fais du bon travail et que cela fait du bien à l’image des femmes dans le hockey, tant mieux.»

Des qualités pour un tel poste, la Zurichoise n’en manque pas. Le hockey, c’est peu dire qu’elle connaît. De 16 à 29 ans, de 2004 à 2018, elle a été l’indétrônable gardienne de l’équipe suisse, remportant deux médailles de bronze, aux Mondiaux de 2012 et aux JO de Sotchi en 2014, après une victoire retentissante contre la Suède. En Russie, elle avait été désignée meilleure gardienne du tournoi. Elle a joué dans les meilleurs championnats étrangers, en Amérique du Nord avec Boston et Montréal, et en Suède. Détentrice d’un master en économie, elle maîtrise plusieurs langues (allemand, italien, anglais et français), sans oublier qu’elle possède un tempérament de leader que tout le monde lui reconnaît. Pour avoir joué plusieurs tournois avec elle, notamment à Sotchi, Sarah Forster est bien placée pour en parler. «Derrière son sourire et son côté calme, jamais euphorique, Florence en impose sans jamais hausser la voix. Quand elle parle, on l’écoute. On sent qu’elle est là.» Le charme naturel n’empêche pas un côté direct, sans détour, sûre d’elle. 

Je n’ai jamais eu peur de l’avenir et mes succès ont toujours été le fruit de mes efforts.

Dans une interview, Florence Schelling racontait cette anecdote révélatrice remontant aux Mondiaux juniors de Slovaquie en 2019, où elle dirigeait l’équipe suisse. «Après une lourde défaite, j’ai parlé très fermement, mais avec calme à l’équipe. Mes assistants m’ont dit que c’était la plus belle engueulade que les filles aient jamais reçue.» Et d’ajouter: «Je n’aime pas les non-dits. Je défends toujours mes opinions». 

Florence SchellingS’imposer dans un monde d’homme ne lui fait pas peur car elle en a l’habitude. Rien de nouveau pour elle. Après avoir commencé le hockey avec ses deux frères aînés, elle a disputé toutes ses classes juniors avec des équipes de garçons, faute de formation féminine. Puis, une fois sa carrière à l’étranger finie, elle a encore disputé une ultime saison dans la cage de l’équipe masculine de Bülach, en première ligue. Chez les adultes, seules les gardiennes ont le droit de jouer avec les hommes. 

Je suis entrée très tôt dans ce monde masculin. Je suis très à l’aise avec ça car j’ai grandi là-dedans. Je sais comment cela se passe dans un monde d’hommes, c’est devenu normal pour moi.

Sarah Forster, qui a aussi joué avec les garçons de 4 à 18 ans, estime que ce sera un gros atout pour son amie Florence face à son nouveau défi. «Quand vous vous retrouvez seule au milieu de 20 garçons, ça vous forge le caractère, vous ne pouvez pas vous laisser faire, surtout qu’il y a pas mal de jalousies du genre «mais qu’est-ce qu’elle fait là».»

Florence Schelling a signé son premier acte concret en présentant en juillet le nouvel entraîneur, l’austro-canadien Don Nachbar, 237 matches en NHL, qui opérait en Slovaquie la saison dernière. «Don est un bon communicateur, qui dégage beaucoup d’énergie positive, un leader sûr de lui mais ouvert au dialogue, prêt à miser sur l’intégration de jeunes joueurs», a déclaré la jeune femme, très élégante et très glamour, comme à son habitude. «La preuve qu’on peut être hockeyeuse tout en aimant se maquiller et porter des talons hauts», sourit Sarah Forster. Florence Schelling ou l’art de faire valser les clichés à coup de body checks.